jeudi 23 juin 2011

Adèle a des yeux plus bleus que le bleu du ciel




Je me souviens comme d'hier d'un jour où tu avais frappé à la porte de ma chambre, les yeux pleins de larmes et que tu m'avais dit « Julien, j'ai un gros problème, j'ai rencontré une fille ». Cela faisait environ six mois que nous ne nous adressions plus la parole, pourtant je t'ai laissé entrer. Tu t'étais assis sur mon lit, tu m'avais longuement dévisagé puis tu t'étais enfin décidé à tout me raconter. Elle s'appelait Adèle, tu l'avais croisée dans un couloir du bahut, tu l'avais bousculée et ses livres étaient tombés. D'habitude tu ne t'arrêtais pas, tu te contentais d'un geste déplacé ou d'une insulte, mais cette fois-ci c'était différent. Ses yeux, d'un bleus vitreux t'avaient empêcher de partir, alors d'un mouvement maladroit tu avais ramassé ses livres. Vous étiez restés deux très longues minutes à vous dévisager, puis la magie s'était rompue. Pour la première fois de ta vie tu t'étais senti faible et ça te faisait peur. Pendant la récréation elle était venue te voir dans la cour alors que tu dealais avec Sébastien, tu l'avais envoyé paître parce que tu ne voulais pas qu'elle voit la coke que te refilais Seb'. Tu t'étais dis que ce n'était pas si grave après tout, des filles t'en rencontrerais d'autres. Malgré toi, tu avais cherché à la revoir, ses yeux te hantaient, alors tu t'étais lancé, persuadé qu'elle ne voudrait même pas t'adresser la parole. Contre toute attente elle t'avait souri & tu l'avais invité à te retrouver samedi aux jardins du Luxembourg. Le jour du rendez-vous, tu n'y étais pas allé, pourtant tu avais voulu, mais t'étais défoncé et tu n'avais pas pu te lever. Tu t'en voulais énormément. Je crois même que tu t'en voulais plus encore que le jour où tu avais volé le dernier cookie dans la boîte de biscuit et que maman s'était mise très en colère. Mais maman n'est plus là désormais. Tu m'avais expliqué qu'une fois de plus elle t'avait pardonné, puis qu'un jour, au détour d'une ruelle, tu l'avais croisé et que sans rien dire elle avait délicatement déposé un baiser sur tes lèvres. Je me souviens avoir vu les larmes couler sur tes joues, et ta voix désespérée me dire « Julien, aide-moi, je ne sais plus quoi faire ». Je t'avais alors pris dans mes bras. Tu puais le pétard et la cigarette. Tu avais murmuré des paroles que je ne comprenais pas. Je ne pouvais pas te laisser souffrir autant, malgré tout ce que tu m'avais fait, malgré les trahisons que tu avais commis, malgré les insultes que tu m'avais lancé, tu restais mon frère et même si tu m'avais laissé souffrir en silence, même si tu m'avais laissé te faire croire que j'allais bien, je ne pouvais oublier que nous étions jumeaux. Je repensais à la mort de maman, à ta dérive dans l'alcool et la drogue, à tes tentatives de suicide, au jour où tu avais failli me tuer lors d'une de tes crises de démence, à ton échec au bac parce que tu étais, une fois de plus, défoncé, à ton redoublement, à mon entrée en fac sans toi, à ces longs mois de silence, à tes absences le soir, à l'alcoolisme de papa. Alors moi aussi j'avais pleuré. Des larmes chaudes avaient coulé sur mes joues, cela faisait tellement longtemps que je les retenais qu'elles n'eurent aucun mal à sortir. Puis finalement, je t'avais regardé droit dans les yeux et d'une voix solennelle je t'avais dit :

« Jules, mon frère. Pour une fois dans ta vie, écoute-moi. Aime-la cette fille, petit con, aime-la car elle pourra peut-être enfin te faire aimer la vie. »


Texte écrit pour Il suffit d'un sourire (galerie textuelle), le sujet étant : "Aime-la cette fille, petit con, aime-la car elle pourra peut-être enfin te faire aimer la vie." ~ Lolita Pille. Dîtes-nous ce à quoi vous fait penser cette citation, tout ce qui vous passe par la tête lorsque vous lisez cette phrase. Vous pouvez aussi si vous le souhaitez l'insérer dans votre texte.

1 commentaire:

  1. Tellement magnifique ! J'aimerais vraiment écrire comme toi tu es une romancière dans l'âme!

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